De Tanger

Depuis Palma, nous avons rejoint Ibiza, île de la fête et du luxe. Puis nous avons descendu la côte espagnole en faisant une incursion à Grenade pour nous éblouir à nouveau devant l'architecture arabo-andalouse. Gibraltar fut une escale technique pour affiner certains aspects d'Oreo. Du haut du rocher de Gibraltar, le Djebel Tarik des Arabes, nous avons observé les trois points de nos doutes et de nos biographies passées et à venir : la Méditerranée, l'Afrique, l'Atlantique au-delà du Détroit. L'au-delà du Détroit est devenu obsédant et fascinant. Et nous voici désormais à Tanger. Nous allons descendre doucement la côte marocaine jusqu'au Canaries, les vents ne semblent pas suffisamment favorables pour atteindre Madère et le temps passe.

Tanger

Ivresse d'odeurs, de foules, de regards. Nous avons franchi Gibraltar.

Oreo est amarré sous la Médina de Tanger. Autres rythmes, autres codes. L'Europe si proche est loin derrière nous mais elle est ici l'objet de tous les fantasmes, jusqu'à l'exaspération.

La transition est brusque, toujours : le premier jour est celui de la non-appartenance au lieu. Le temps passe et la rue nous appartient aussi. L'escale devient nouvelle terre d'accueil, la vie et le voyage se mêlent de nouveau. Les échos des années marseillaises résonnent dans la vie d'aujourd'hui : instants simples partagés avec un inconnu, atmosphères de lieux : nous nous sentons vivre.

Le carnet de voyage a la couleur des pays qui l'inspirent : des nuances délicates des Baléares, nous sommes passés aux contrastes saisissants, à la profondeur de champ d'une société en mutation.

Tanger, cousine de Marseille, Tanger autre côté du miroir. Tanger, ouverte sur le Détroit et l'Océan, l'Espagne pour horizon, la montagne en arrière pays, zone de contact et de rupture, symétrie de Gibraltar, ouvert sur le Détroit, fermant la Méditerranée.

Le Détroit, c'est le baptême du courant : courant favorable qui se fait muscle puissant et nous happe soudain, étrangeté des vagues qui luttent contre une force contraire, mer qui se creuse sans raison. La géographie de la surface mouvante qui nous porte est en mutation.

Les brumes voilent souvent le mariage des eaux atlantiques et méditerranéennes. Nous avons joué dans les flots aux portes de l'Océan, nous pensons aux marins de Phocée découvrant la marée.

Tanger enveloppée dans la moiteur et la poussière du Sahara.

Tanger révélatrice aussi de ma douleur de nomade : j'investis un nouveau lieu, construis de nouveaux repères, lie des amitiés vivantes d'échanges passionnés et je reprends ma route.

La découverte et l'adieu irriguent chacun de mes pas, j'apprends à connaître et j'aime, l'émotion me submerge. Merci Nourredine pour ton intelligence du Monde, merci Abdou pour ta sensibilité.

La douleur du partir imprègne le lâcher des amarres.

Ainsi je souhaite aimer le Monde, dans le mouvement.

Tanger, tu es la porte de notre nouvel Océan.

Atlantique, la mer au-delà de l'Atlas.

Nuit de brouillard dans le port de Tanger.

Centaines de voitures arrêtées.

Des émigrés marocains rentrent en Europe,

Attente.

Rondes des ferries dans le Détroit.

Adolescents des campagnes rêvent d'une partance clandestine.

Les grilles du port ne sont pas hermétiques.

Soldats dans la brume.

Lumières de Tarifa à portée de main,

Désirs confus et obsédants qui enveloppent les biographies qui se croisent :

« Tu es de la France ?

Je cherche un camion pour retourner là-bas, j'ai grandi à Orléans mais mon père m'a ramené ici à l'age de 13 ans, je veux retourner, j'ai peur, c'est dangereux, un garçon qui voulait partir est mort hier dans le coffre d'une voiture.

Je m'appelle Ismaël, j'ai 17 ans, donnes-moi ton adresse, je viens te voir quand je serais en France »

A bientôt

François et François

Marseille, 7 avril 2004