' ici le son
 
  Pendant la traversée le calme et l'apaisement se sont installés.
Splendide.

Nous sommes partis de Praïa, un soir, poussés par les alizés chargés de sable. Une heureuse discussion avec Babar (oui cela existe) nous a fait choisir l'option plein sud pour traverser l'équateur le plus à l'est possible.
Les premiers jours furent pénibles, à cause du sable qui limitait notre visibilité à  deux milles marins et qui nous cachait le ciel, à cause de l'appréhension du pot au noir (zone sans vent juste au nord de l'équateur) et de la perspective d'avoir à attendre sur une mer d'huile, et enfin à cause de la carte couvrant tout l'océan, en rapportant le point nous n'avions pas vraiment l'impression de nous éloigner du Cap vert.
Un soir vers quatre degré nord l'alizé a brusquement faibli, puis un orage équatorial nous est tombé dessus. L'entrée dans le pot au noir fut une fête. Nus dans le cockpit, au centre d'une sphère sans dimension, d'un noir absolu, tous les trois (en comptant Oreo) nous nous lavions sans compter  l‘eau. Le lendemain un léger vent du sud nous tirait vers l'équateur, le ciel était d'un bleu limpide parsemé d'énormes masses de cumulus très blancs et très noirs sous lesquelles il pleuvait à perdre haleine.
Le temps était installé où nous n'avions plus de repère.

En mer le 25 janvier 2005,
J'ai du mal à imaginer que cette étendue d'eau sur laquelle nous vivons depuis tant de jours est une limite. Parfois j'ai même des doutes sur le fait que nous soyons en mouvement. Pourtant, on ne peut pas dire que rien ne bouge, ce serait même plutôt le contraire, ou que chaque jour se ressemble, le vent, le ciel et la mer variant à l'infini.
Voilà vingt jours que le monde est réduit à la surface d'Oreo, à notre relation et à deux éléments l'eau et l'air.
Il nous faut réapprendre la terre et le feu. Mon cœur est en fête de cela, des amis nous attendent, les festivités du carnaval vont bientôt commencer, il y a des gens à rencontrer, un pays à découvrir.
Mais pour cela il faut quitter le milieu de la mer.
Nous avons traversé un continent d'eau avec ses animaux, ses histoires, les personnes incertaines de ce qu'il y avait de l'autre coté, ce qui ont bu l'eau croupie faute de vent, ceux qui sont morts en fond de cale parce qu'esclaves, ceux avec qui nous avons sympathisé au mouillage et qui sont au centre  d'un autre horizon sur le même océan. Durant ces longues journées et longues nuits c'est aussi notre histoire personnelle qui remonte, le chemin qui nous a menés là, les injustices commis et subies et bien sûr la mort.
La notre qui nous oblige à vivre et celle des autres qui nous en empêche.